QUELQUES MOTS APRÈS L'EXPÉRIENCE...



QUELQUES MOTS APRÈS L'EXPÉRIENCE... (french only)
Vous avez été nombreux à nous suivre, à nous encourager, à nous féliciter, et aussi à nous questionner au cours de la correspondance. Nous revenons aujourd'hui sous la forme d'un entretien (en français seulement pour l'instant, désolées) sur la génèse, la réalisation et les suites de cette riche expérience photographique et humaine. Un grand merci à tous pour votre fidèle attention.
Marilia et Angelle.
NY/Paris, 09/2009

Quel est le concept de cette expérience photographique ?
Pourquoi 24 jours "seulement" ?

"La même heure, quelque part ailleurs..." est une correspondance quotidienne en images, basée sur la quasi simultanéité de la prise de vue (même heure) entre deux photographes, deux continents et deux fuseaux horaires différents ( 6h00 de decalage ).
Cette expérience joue sur l'espace-temps qui nous unit et nous sépare en même temps : notre manière d'apprivoiser lentement le temps et les changements de lumières, de nous adapter aux situations et à l'évolution quotidienne du chemin photographique que nous construisons.
Sur le rythme d'une photo par jour, une heure plus tard chaque jour, nous avons couvert et experimenté pendant 24 jours les 24 heures et luminosités d'une journée et nuit réunie. Nous nous sommes limitées à 24 jours pour garder une intensité de réalisation et d'audience, pour que chaque heure explorée soit une expérience unique dans le projet.
Le projet a pour seule règle le respect du temps limité de la prise de vue (une heure autour du marqueur), et si possible ensuite, une mise en ligne rapide pour en faire une experience en (presque) temps réel .

Comment est né ce projet ? qui a eu l'idée ?
Marilia : J'ai initié le projet. La correspondance, l'échange, l'interactivité et l'improvisation dans la création sont des sujets qui m'intéressent mais qui ne sont pas toujours faciles à concrétiser. Il faut trouver le bon interlocuteur, le bon moment, le bon projet pour créer une émulation, une stimulation, un rythme aussi. J'ai réalisé une formule collective en 2001 en collaboration avec le magazine photo en ligne photographie.com. Je voulais le refaire en tête en tête, avec des moyens 100% numériques.
Angelle était pour moi la partenaire de jeu idéal, une photographe qui pratique les jeux d'écriture, avec qui j'ai des affinités esthétiques, et dont l'univers plutôt rural offre un joli decalage avec mon univers new yorkais très urbain. On se connaît depuis quelques années, depuis que j'ai écrit un article sur son travail, et nous aimons réciproquement nos photographies.
La correspondance était aussi un défi personnel, celui de photographier ma ville, New York, au quotidien. Ce qui peut sembler naturel voire banal pour tout photographe, mais pas pour moi qui ne pratique absolument pas la "routine photographique" (un clin d'oeil à la correspondance de Depardon avec Libération en juillet 81).
Une fois l'idée de correspondance lancée, nous avons ensuite affiné le concept : simultanéité, décalage espace-temps, l'été, une rotation d'une heure par jour , 24 heures donc 24 jours ...

Prépariez-vous vos photos en avance ?
Marilia : Préparer pas vraiment, penser énormément.
Aucune photo n'est du "recyclé", chaque image appartient à ce projet, à son heure et au jour publiés. Mais entre chaque publication, il y avait cette zone de réflexion et d'imagination de l'image suivante : où aller, qui, quoi photographier, comment répondre, sur quelle piste emmener Angelle ?
Je ne suis pas douée pour les mises en scènes subtiles et naturelles comme Angelle sait les faire, avec plein de petits indices à découvrir et lier , je fonctionne mieux en mode improvisation, en "composition instantanée", au gré de l'inspiration du moment, du chemin emprunté, des contraintes d'emploi du temps, des aléas de la météo, ... Si jamais je partais avec une image précise en tête, à coup sûr cette image-là était manquée, et donc écartée. Car pour chaque heure, il y a eu l' image publiée, et les images écartées, celles que personne ne verra jamais. Et au final c'est toujours la photo spontanée, imprévue que je choisis et publie... celle qui par surprise est un écho parfait. Ma récompense.
Angelle : Préparer n’est peut-être pas le mot que j’utiliserais, à l'exception de deux images de nuit : celles du globe et celle du réveil (pré-installés pour des raisons pratique : météo et temps de sommeil). De manière générale, je pensais à l’avance aux images que je voulais faire (les éléments, les gens ou les lieux), mais souvent ces images ont évolué pendant la prise de vue, au point de parfois s’éloigner vraiment de la première idée. Par exemple, l’image de la route et des fougères éclairées par des phares dans la forêt a été réalisé en dernière minute car je n’étais pas vraiment satisfaite de la prise de vue initialement pensée : celle d'une cabane dans cette même forêt au bout d’un chemin de terre , qui s’est avérée être peu lisible dans la nuit. Sur la route du retour, j’ai donc essayé cette image que vous connaissez, et qui m’a semblé plus convaincante.

Avez-vous preparé une collection d'objets et d'idées à photographier avant la correspondance ?
Angelle : Pour moi, la correspondance se déroulait en grande partie à la campagne, j’avais donc emmené quelques objets que j’aime particulièrement (la loupe aux strass par exemple ou le sablier). Mais finalement beaucoup de ces objets n’ont pas été utilisés.
Marilia : J'avais fait une liste de lieux que je voulais photographier dans la ville : des lieux qui pour moi correspondaient à des heures précises dans cette ville. Cette liste a évolué, voire été oubliée au cours du projet : mes photos ont été le plus souvent prises sur la route vers ces lieux, ou à côté. Cette liste d'idées fut un point de départ, rarement d'arrivée. Pour les objets, non, les rares utilisés (ombrelle, livre d'art, chapeau) je les avais à la maison et j'y ai pensés bien souvent juste avant de partir à la pêche à l'image.

Aviez-vous parfois des thèmes communs ? Une histoire définie ? Discutiez-vous des photos avant de les faire ?
Comment expliquez-vous de telles coincidences ou similarités dans les images ?
Marilia : Oui les coincidences sont belles et étranges... mais aucune concertation !
Nous n'avions pas d'histoire, pas de thème. Au début, sans trop savoir quelle direction allait prendre notre correspondance, je m'imaginais le scénario d'une journée new yorkaise : errer la nuit, puis dormir, se réveiller, le café du matin, lire la presse, aller au boulot etc... et puis petit à petit on se laisse prendre au jeu de la réponse avec l'autre et on perd le fil de la phrase initiale.
Pendant la correspondance, nos échanges se sont limités à des emails et des impressions sur l'image déjà publiée de chacune.
Parfois nous évoquions des pistes d'images à venir, des lieux, des objets, mais ce furent toujours des fausses-pistes, puisque les photo postées n'étaient jamais celles pré-imaginées. Quand Angelle me donnait parfois une indication de personnage, d'objet, c'était rarement une aide, plutôt une nouvelle contrainte dont je faisais alors abstraction. Par exemple, bien avant la correspondance, Angelle m'avait parlé d'une image de nuit eclairée à la lampe torche, je l'attendais d'une nuit à l'autre, elle n'est jamais venue ! Même pas le jour anniversaire des premiers pas sur la Lune ;-) Je remarque d'ailleurs que nous avons fait le plus souvent abstraction du calendrier et de l'actualité. Notre correspondance est devenu un tissage imaginaire de nos visions et inconscients, se croisant, s'éloignant, se retrouvant.
Puis les coïncidences visuelles s'expliquent simplement par le fait que nos styles photographiques sont assez proches, avec une certaine poésie et douceur dans les images : nous avons une complicité esthétique naturelle. Et le contraste de nos situations à la fois temporelles (nuit/jour ) et géographiques (hyper urbain/rural) nous a certainement orienté vers une unité formelle.
Plus le temps passait, plus certaines images devenaient peut être évidentes, parce que notre complicité grandissait, mais aussi j'imagine par le jeu des statistiques.
Quelqu'un me disait il n'y a pas de hasard dans tout çà... que de la magie.
Angelle : Aucun thème commun, pas d’histoire n’ont plus. De mon coté, au debut de l'experience je cherchais ce qui me semblait être caractéristique des heures de la journée, le soleil qui se lève, la tasse de petit déjeuner, les premiers pas dehors avec le chat qui me tourne autour, et puis tout cela s'est éloigné peu à peu et j'ai commencé à vraiment rebondir sur l'image de Marilia. Dès la 4ème image, j’ai tenté de faire des réponses (le tissu aux couleurs fleuries apparaissant dans la mousse fait j’espère un petit écho aux lentilles de couleur nocturne) tout en restant dans l’idée d’une continuité de la journée. Je gardais présentes à l'esprit, l'heure et la cohérence photographique avec cette heure, mais cela devenait autre chose : des envies d'images comprenant plus de connivence, des désirs de "fusionner" davantage avec l'autre photo, de raconter une histoire à deux voix, comme un cadavre exquis qui se forme et s'étire au fil des jours...
Il nous est arrivé d’évoquer la veille le lieu où nous comptions aller chercher notre image (mais dans la réalité ces lieux s’avéraient souvent avoir changé entre temps !) Et puis je ne connais pas New York donc difficile pour moi, lorsque Marilia me nommait un quartier, de l’imaginer et plus encore d’imaginer l’image qu’elle y ferait. Par contre, nous avons joué un peu avec des accessoires comme les chapeaux, sans s’en parler, juste comme un clin d’œil à l’autre quand cela s’y prêtait.
Les coïncidences ou similarités s'expliquent peut-être par le hasard… ou peut être au fil du temps une sorte de connivence dans le projet et ses images, mais nous avons très souvent été les premières surprises et ravies de ces coïncidences.

Combien de temps le projet vous prenait-il par jour ?
Marilia : Comme des "quarts de nuits", 2 à 4h00 d'errance, réalisation et édition autour de la photo, avec l'excitation avant et après qui fait que tu y passes toute la journée. Dans ce genre de "work in progress", on est comme embarqués, on cogite en permanence sur la photo postée, celle d'Angelle, leur rapport, leur suite possible, ....
Angelle : Je dirais entre 3 à 4 heures, d’une manière non-linéaire bien sur, Mais le projet était dans ma tête en permanence et puis il rythmait les journées. Quand l’heure arrivait c’était ensuite une mini-course contre la montre : aller sur les lieux, préparer les éléments, ou passer voir les gens intervenants, faire les images, les choisir (étapes longue en ce qui me concerne) les traiter et les mettre en ligne en un minimum de temps. Tout cela était plaisir et tension mêlés…

En avançant dans le projet, vous imposiez-vous des contraintes personnelles autres que temporelles ?
Marilia : Pas de vraies contraintes mais des orientation naturelles : répondre à l'image d'Angelle tout en laissant des ouvertures, des pistes à explorer, continuer une série personnelle cohérente visuellement et thématiquement, créer un rapport spécifique au temps et au lieu sans tomber dans les clichés "carte postale", faire des clins d'oeil aux images passées. Mais parfois une photo inattendue et coup de coeur me faisait prendre une autre route, je croisais alors les doigts pour que cette image, sans rapport évident avec les images précédentes, ait peut-être un écho dans le dialogue à venir.
Je crois que l'intérêt de cette aventure c'était d'explorer, et d'éviter tout systématisme, de se laisser surprendre par la création en train de se faire, de ne jamais fermer l'imaginaire du photographe comme du lecteur, d'éviter des images trop attendues , redondantes pour laisser la correspondance évoluer librement.
Par exemple, à ma photo de la 6ème heure (5h00) qui est un point de vue personnel très quotidien (mon homme, ma fenêtre, le lever du jour), succède ma photo de la 7ème heure (6h00) du street car qui était en revanche totalement spontanée ( une image prise à la volée sur ma route vers la photo que j'avais prévue de faire dans le métro), à laquelle suit ma photo de la 8ème heure (7h00) beaucoup plus construite (dans la suite de la thématique new-yorkaise, du quotidien mais aussi une réponse à la photo de la veille d'Angelle : le voyage, le journal, la grosse pomme/wall street ). Et le plus surprenant, c'est que nos deux photos de la 8ème heure, sans aucun rapport thématique, sont tout a fait raccord visuellement, la composition en trois verticales, les couleurs.
Angelle : Non pas d’autres contraintes, mais une envie grandissante d’entrer plus en avant dans ce projet, de l’approfondir, de créer d’avantage d’échos discrets aux images de Marilia.
Passant essentiellement l'été dans un petit hameau de Bourgogne, je regarde vivre les voisins, les amis autour, je capte leurs attitudes, leurs mouvements, leurs jeux depuis des mois, voir des années... alors "ma réponse" à Marilia trouve une évidence dans mon univers malgré la distance et la différence de nos environnements.
L'homme au chapeau devant l'étendue d'eau de Marilia me fait penser à Maurice regardant longuement et si fréquemment ses champs et bois qu'il affectionne tant et qui sont sa vie.
Voir une petite grenouille assise tranquillement dans les mains d'une amie de Marilia dans la lumière de la forêt , me fait penser qu'ici les escargots de Bourgogne font parfois de vrais spectacle d'équilibrisme. C'est en autre cela qui m'intéresse dans cette expérience : les rebondisssements, mais aussi l'attente, la curiosité de savoir ce qui va arriver... Quelle douceur ou quelle force traversera l'océan par la toile... Je tourne autour de l'ordinateur, impatiente, interrogative, attendant la bonne surprise avec une joie quasi enfantine !

Pourquoi la publication était-elle parfois très décalée par rapport au moment de la prise de vue ?
Angelle : Revenir d’un endroit, rester un peu avec les amis qui nous ont aidé à réaliser une image, choisir et traiter la photo et enfin la mettre en ligne, cela prends du temps… Sans compter les pannes de courant les jours d'orage, les pannes d’Internet ...
Marilia : Ce qui comptait c'était surtout la simultanéité de prise de vue, plus que l'immédiateté de diffusion. Transport, aléas, contraintes d'emploi du temps, tout compte, mais le plus long était pour moi la sélection finale : choisir LA photo quand j'en ai plusieurs qui se dégagent. Parfois une s'impose, parfois pas. Un vrai casse-tête quand vous êtes pressée par le temps.

Hésitiez-vous souvent entre plusieurs photos ? Quels étaient alors vos critères de sélection ?
Regrettez-vous certains choix ? Auriez-vous envie d'échanger des photos maintenant ?
Marilia : Oui, très souvent j'hésitais entre deux photos, des photos de lieux ou personnages très différents, ou des photos jumelles qui ne disaient pas la même chose à un détail près.
Toute proportion gardée, j'avais l'impression de revivre "le hasard" de Kieslowski tous les jours : si je choisis cette image, je prend cette direction, je renforce telle orientation...
Dans ces cas-là, j'optais le plus souvent pour mon image coup de coeur, même si le 2ème choix répondait peut-être mieux à la photo d'Angelle de la veille.
Partant du principe qu'il vaut mieux privilégier une image qu'on aime et qui surprend, une image mystérieuse qui laisse libre cours à l'imaginaire, plutôt qu'une image attendue et qui répondrait trop parfaitement. Pour moi les images écartées une fois, sont écartées pour toujours du projet. Puisque la correspondance a évolué sans. Je regrette aujourd'hui le choix d' 1 ou 2 images, mais c'est le jeu.
Angelle : Toujours. Il y avait les hésitations sur des variations autour d’une même image, et pire encore, quand plusieurs images très différentes avaient été faites. Le dilemme était alors encore plus important : comment trancher ? Selon l’humeur du jour (ou de la nuit), la qualité technique, un clin d’œil que je n’avais pas imaginé sur le moment à l’une des images précédentes de Marilia. À priori je ne regrette aucune image, car le projet est ainsi finalisé, le jeu ne permet pas de revenir sur les photos choisies. Cependant pour certaines heures j’aurais plaisir à montrer une ou deux images « écartées ».

Pourquoi n'écriviez-vous pas de légendes plus détaillées ?
Notre propos était la photo et elle seule.

Pourquoi n'avez-vous pas autorisé les commentaires sur le blog ?
Marilia : Je voulais que les spectateurs puissent s'exprimer et j'aurai bien aimé garder une trace vivante de tous les superbes messages recus. Et en même temps, nous voulions une mise en page la plus épurée possible, sans logo, ni texte qui parasitent les images. Les commentaires, c'est parfois à double tranchant : peut naître une jolie discussion, comme une suite de remarques stériles, négatives ou positives. On voulait que chacun puisse se faire son idée sans avoir l'avis et la lecture d'un autre. Et nous-mêmes, nous concentrer sur les images, et non pas sur la modération des commentaires. J'ai pensé mettre un livre d'or séparé dans la marge, mais n'ai pas trouvé comment faire ;-) Aujourd'hui que l'expérience est finie et a été vécue visuellement jour après jour par les spectateurs, j'ai envie d'en parler, de garder un témoignage écrit, avant que les impressions vécues ne s'effacent.
Angelle : En ce qui me concerne, je n’y tenais pas. Cela aurait coupé visuellement la cohérence de l’ensemble. Avec Marilia nous avions parlé de faire une sorte de « livre d’or » et puis le temps ne l’a pas permis. Ceci étant nous avons reçu sur nos mails personnels, indiqués dans le blog, beaucoup de messages d’encouragements, de questionnements ou de réflexions et cela a été important je crois pour nous deux.

En quoi ce projet fut-il enrichissant?
Avez-vous appris des choses photographiquement parlant avec cette experience ?
Avez-vous découvert des lieux ?
Marilia : Expérimenter une production quotidienne contraignante, créer avec l'inconnu, partir à l'improviste avec une obligation de résultat dans un temps limité c'est un petit défi très stimulant. Le plaisir de la création partagée sans compétition, çà ouvre de nouveaux horizons. Photographier à des heures personnellement peu pratiquées : la nuit, le petit matin (magique). Se rendre compte comment les lieux , les horaires, les lumières m'inspirent des styles de photographie très marqués : documentaire, cinématographique, intimiste, graphique, ...
Angelle : Essayer de rester dans son propre style d'image, tout en allant, par le biais de la contrainte, fouiller plus loin, est un vrai défi riche mais complexe. Ces contraintes précises et partagées forcent à travailler sans doute davantage un projet. Avec Marilia, l’expérience a été humainement très forte, nous avons beaucoup échangé sur nos impressions, notre vécu. Nous nous sommes soutenues mutuellement dans les passages plus durs physiquement comme la nuit : elle avait passé en première cette étape et m’a donc conseillé. Enfin dans les mails de nos « visiteurs » j’ai puisé l’envie et l’énergie de poursuivre l’expérience puisqu'elle semblait intéresser chaque jour davantage de personnes.
Je n'ai pas spécialement appris quoi que ce soit en photographie , si ce n’est que j’ai travaillé régulièrement au pied ce qui est rare lorsque je fais des images. Le travail de nuit m’était également relativement inconnu et j’ai du m’y confronter : il faut être astucieux à la campagne lorsque la nuit est sans lune !
J'ai découvert un seul lieu : le jardin ouvrier près de la cheminée d’usine de Bagnolet. J’avais repéré cette cheminée depuis longtemps, mais là j’ai tourné autour et effectivement découvert cet endroit près de chez moi. Amusant.

Avez-vous des images/diptyques préférés chez l'une ou l'autre, lesquelles/lesquels et pourquoi ?
Marilia : J'aime cette correspondance pour son ensemble, son évolution, mais c'est vrai, j'ai des diptyques qui me touchent particulièrement pour différentes raisons.
la 3ème heure, la complicité visuelle des ronds, des couleurs, le flottement dans l'air.
la 6ème heure et son contraste visuel surprenant qui révèlent d'étranges échos sémantiques châteaud'eau/tracteur ,champ/torse poilu.
la 8ème heure, avec cette double composition en trois verticales, trois couleurs, j'aime cette connivence.
les 10 et 9ème heures se prolongent horizontalement, j'aime leur continuité.
la 12ème heure qui répond en croisé si bien à la 11ème heure, avec ce côté mystique et biblique, ces signes d'apocalypse.
la 13ème heure, j'ai l'impression que mon image est l'image mentale du monsieur d'Angelle, du vrai cadavre exquis.
la 18ème heure, le contraste des météos grand soleil /pluie, mais la même scénographie des personnages. Une jolie coïncidence.
la 20ème heure me bluffe : on dirait un champ/contre champ d'une même scène. De la télépathie ?
la 22ème heure aussi, les regards croisés, les couleurs et lumières qui se répondent.
la 23eme heure, la coïncidence des deux horloges c'est quand-même incroyable.

Dans les photos d'Angelle, j'ai aimé retrouvé ce que je connaissais déjà, sa poésie, son goût pour les lumières, les couleurs, les textures, les scènes du quotidien simples en apparence et belles de leur étincelle particulière (le café et sa "géniale" échappée de fumée, le rideau en contre-jour qui raconte si bien le petit matin depuis son lit, les jambes et le chat d'un tendresse infinie, la cabane abandonnée qui incarne le temps arrêté, les escargots si drôles, le trésor subtil des pistils ...). Chaque image d'Angelle est comme une offrande, un petit bonheur. J'ai aussi aimé découvrir ce que je ne connaissais pas : particulièrement les images de nuit, rares je crois chez Angelle. Une vraie histoire se dégage de cette série de nuit qui démarre sur la route, une ambiance mystérieuse de film noir, que je trouve très réussie : les phares, la silhouette, le sablier, le globe, le réveil, ce miroir tâcheté, sont comme les indices d'une énigme à résoudre. J'ai été séduite et captivée. Ce qui m'a aussi bluffé, c'est le soin apporté à la composition, à la mise en scène des objets et des formes, rien n'est laissé au hasard : la photo de l'épluchage ou du timbre par exemple recèlent plein de pistes de lecture, il m'a fallu m'y prendre à plusieurs fois pour tout comprendre.

Et dans mes photos, celles que je préfère sont d'abord celles que je n'attendais pas, celles que je n'aurai jamais pu faire sans les errances forcées de ce projet, ce sont les belles surprises, les photos pour lesquelles je n'ai pas passé 4h00 à me décider :
la 4ème heure, ma photo "don du ciel", celle qui m'est apparue quand je désespérais de faire une bonne image à cette heure avancée : une femme qui fume dans le noir, la réponse nocturne et sensuelle parfaite à l'image du café qui fume d'Angelle, et une photo que je trouve très belle en soi.
la 7ème heure : la photo du street car, elle ne repondait pas du tout au champ de la veille d'Angelle, mais c'était pour moi encore une apparition, une photo rêvée pour une sortie de nuit.
la 11ème heure, inattendue encore, une grenouille sur le chemin retour dans la forêt avec ce rayon de lumière, je bascule dans le conte de fée et dans l'univers d'Angelle.
la 12ème heure : une photo tellement proche de ma photographie, et en même temps inattendue, je ne sais pas pourquoi je me suis couchée au sol pour la faire, pour voir l'horizon et ca m'a plu.
la 19ème heure : j'aime dans cette image de plage et foulard, le côté tour de magie surréel, la photo qu'on ne comprend pas ou qui ne plaît pas à tout le monde du premier coup d'oeil.
la 20ème heure : une image simple mais pleine de mystère, qui répond aux couleurs d'Angelle la veille, encore une fois à un moment où je n'y croyais plu, et qui s'est ensuite révélée incroyablement complice avec l'image des phares d'Angelle.
la 23ème heure : Une des rares pensée et mise en scène qui ait fonctionné, très cinématographique, très New York.

Angelle : J’adore la photo de l’homme sur la plage, je la trouve parfaite dans ses équilibres, ses couleurs, son mouvement. La fumeuse sous le réverbère la nuit me plait beaucoup pour son ambiance et la grâce naturelle de cette femme ; l’autoportrait dormant avec les petits ronds sur le tissu parle à mon avis très poétiquement de la nuit et des rêves et celle de l’homme devant le lac que l’on lit au premier regard comme emmmergeant de la brume porte cette poésie autrement mais avec une force égale. L’image de la grenouille dans les mains semble sortie tout droit d’un conte de fée et son mystère me touche beaucoup ; la géométrie du camion de poste sur les passages piétons avec la jeune femme et l’horloge me semble d’une construction irréprochable et j’envie à Marilia cette image du parapluie cassé pour m’être confronté avec beaucoup moins de succès à ce sujet. Mais de toute j’aurais quelques choses à dire car aucune ne me semble "gratuite" ou inintéressante, bien au contraire.
Quant aux miennes... voilà peut être quelques pistes pour comprendre les images qui me tiennent à coeur :
la 3ème heure a amené une toute timide touche de magie, on peut se demander où est le génie de la tasse rouge ?
la 8ème heure s'est imposée, c'est mon plaisir à photographier la poésie des lieux abandonnés qui reprend le dessus.
la 9ème heure, les petits bonheurs de l'enfance surgissent là où on ne les attends pas (la fillette au lavoir) et où pourtant on les guette.
la 12ème heure, le plaisir d'avoir su garder près de soi le monde de sa propre enfance (les escargots) et savoir toujours jouer avec, même devant l'objectif.
la 15ème heure, tenter de rendre la beauté des petits objets (la loupe) et les détails minuscules de la nature (le pistil).
la 17ème heure, jouer avec la réalité des lieux : quand la Bourgogne devient exotique.
la 20ème heure, pour entrer pleinement dans le monde de la nuit et ses mystérieuses ambiances.
la 24ème heure, pour le plaisir d'être là pour la fin.

Qu'est ce qui fut le plus difficile dans cette expérience ?
Marilia : Prendre de la distance ;- ) Ca n'a l'air de rien comme çà, mais j'y pensais en permanence, il a fallu attendre 24 jours pour reprendre une vie normale.
La nuit au début fut difficile : photographier à des heures que je ne pratique pas beaucoup, le manque de repère dans notre échange, faire durer le plus longtemps possible l'aventure nocturne.
Mais je me rendis vite compte que le début offre une liberté totale de direction , qu'à New York la nuit il se passe toujours quelque chose...
Et plus la correspondance avançait, plus la pression, l'attente et l'envie de surprendre augmentaient : ne pas se rater, ne pas décevoir Angelle, ne pas laisser filer l'énergie, la concentration.
(Re)Apprendre à mesurer et apprivoiser le temps. Une fois l'aventure lancée, se développe cet engrenage du temps qui avance et ne s'arrête jamais : impossible de partir en repérage pour le lendemain, puisqu'à l'heure du lendemain je suis entrain de poster l'image du jour. Et partir en repérage pour la photo dans 3 jours ? Quel intérêt puisqu'entre temps il se passera tant de choses que je ne connais pas encore et avec lesquelles je vais vouloir inter-acter.
Une autre difficulté ou piège que je voulais personnellement éviter : ne pas tomber dans des clichés photos americaines, ou cartes postales new-yorkaises. Rester dans une veine poétique personnelle qui ne ferme pas les imaginaires.
Il y a eu parfois des moments de panique, de manque d'inspiration, ou de perte de temps sur un sujet finalement sans intérêt. Avec, ouf, toujours une bonne surprise au dernier moment.
Angelle : D’abord le trac au début juste avant de commencer... Arriverai-je à faire chaque jour une photo valable ? Ensuite le rythme de vie engendré pendant ces 24 jours. Le fait de se décaler d’une heure chaque jour est beaucoup plus éprouvant que ce que j’imaginais, et que dire des nuits…

Quelles impressions vous laissent ce projet ?
Marilia : Une experience photographique et humaine incroyablement riche et belle à vivre, très prenante aussi. Toutes les deux, on imaginait pas à quel point ce serait prenant et fatiguant : la fréquence, la stimulation, l'émulation font que pour une simple image par jour, notre temps, notre énergie notre cerveau étaient complètement mobilisés.
Aussi on ne savait pas si çà marcherait, si nous aurions des échos, un public, et des suites...
Tout le monde nous dit à quel point notre complicité est flagrante : ce qui était une intuition fut une vraie révélation. J'en suis très heureuse.
Ce qui m'a séduite comme tout le monde, ce sont les étranges coincidences de sujets, de lumières , de couleurs, ou de compositions.
Le jeu, pas toujours évident et visible, des réponses, des échos entre les images, qui ne se révèle qu'au bout d'un certain temps.
Aussi ce qui me plait ce sont les lectures totalement fantaisistes faites des images ou des duos d'images. Certains spectateurs ré-imaginent tout hors contexte, ou conditionnés par les images précédentes. L'imaginaire est en route, nous avons alors réussi : chacun s'approprie le projet.
Angelle : Celle d’une suite de moments de plaisirs intenses, d’heureuses surprises… Beaucoup de travail mais un résultat qui ne me semble pas vain, bien au contraire. Et puis une réelle connivence est née je crois avec Marilia dont j’estimais le travail mais que je crois connaître et apprécier encore davantage à titre personnel.

Que va devenir cette correspondance, ce blog ?
Le blog va rester en ligne. Nous avons pensé éditer la correspondance sous forme de petit livre photographique, et aussi l'exposer l'été prochain pour fêter le 1er anniversaire du projet ;-)
Et si vous avez des propositions à nous faire, n'hésitez pas !

Avez-vous d'autres projets communs à venir ?
Nous ne savons pas encore si nous renouvellerons cette experience à l'identique ou différemment, mais nous referons sûrement un projet de création ensemble. La correspondance fut une expérience riche et épanouissante mais aussi intense et fatigante. À J25, ce fut étrange de ne plus avoir ce rendez-vous photographique qui rythmait notre quotidien, et en même temps reposant de pouvoir enfin passer une journée sans contrainte. Après-coup, on se disait " à refaire mais sans contrainte temporelle". Mais en même temps c'est ce qui fait le charme de ce projet. Une idée pourrait être de re-tenter l'expérience mais en échangeant nos fuseaux et lieux de résidence. Nous pourrions aussi développer le même projet sur 24 fuseaux horaires, avec 24 photographes ! Ce serait ambitieux, il faudrait un écran de cinéma pour visionner les images ensemble ;-) Mais nous sommes bien conscientes que la réussite de notre correspondance réside dans l'intimité qui s'est créée entre nos deux visions. La retrouverions-nous à 24 ? Ce serait autre chose forcément.